Le changement climatique est une question déterminante de notre époque et nous sommes à un moment décisif où il est encore temps d’agir pour en limiter les conséquences.
L’ensemble du transport aérien est responsable de 2 à 3% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Même si les aéroports représentent moins de 5% de cet impact pour leur part, soit en réalité 0,15% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ils ont conscience de la nécessité d’agir.
L’aéroport de Paris-Orly affiche un objectif très ambitieux en matière de lutte contre le changement climatique. Gate7 a rencontré Justine Coutard, Directrice de l’aéroport de Paris-Orly pour faire le point sur ses objectifs en matière de décarbonation.
G7 : Paris-Orly affiche un objectif très ambitieux en matière de Développement Durable, pourriez-vous nous le présenter ?
Justine Coutard : Nous avons en fait deux ambitions :
Une première ambition à échéance 2025 qui concerne nos émissions internes, en tant que gestionnaire d’infrastructure : nous voulons atteindre la neutralité carbone. Même si notre activité ne représente qu'une petite composante des émissions sur le territoire aéroportuaire, nous tenons à être exemplaires et à montrer le chemin à toute la communauté.
L’objectif ZEN, Zero Emission Nette au sol, que nous voulons atteindre en 2030 est encore plus ambitieux car il concerne, non seulement Groupe ADP mais tous nos partenaires, compagnies, assistants en escale, prestataires et surtout toute l’accessibilité routière. Cette dernière partie représente environ 52 % des 290 000 tonnes de CO2 émises en 2019 sur la totalité de l’emprise aéroportuaire.
G7 : 2030 c’est quasiment demain n’est-ce pas trop ambitieux ?
JC : C’est en effet très proche mais nous pensons qu’il y a urgence à agir à Paris-Orly car nous sommes l’un des aéroports les plus urbanisé d’Europe et notre activité est régulièrement remise en cause par les riverains, les élus et plus généralement au niveau de l’opinion publique.
C’est pourquoi nous avons considéré que nous devions faire rapidement la démonstration que nous étions capables de décarboner dans des délais courts. Et prouver que notre activité n’était pas incompatible avec la lutte contre le changement climatique et même, qu’au contraire, nous pouvions être moteur dans ce domaine.
C’est pour cela que notre ambition est aussi forte et va nous obliger à relever de nombreux défis technologiques, économiques, sociaux et opérationnels. Nous sommes convaincus qu’il y a urgence à agir c’est pourquoi nous devons apporter une rupture radicale dans notre modèle.
G7 : Les infrastructures de Paris-Orly, dont certaines sont historiques, doivent rendre la tâche plus compliquée que dans d’autre aéroports plus récents ?
JC : Absolument. Le patrimoine de Paris-Orly est lié aux gestes architecturaux de l’époque dont de très grandes façades vitrées. Nous avons, en conséquence, un important travail à faire sur l’efficacité énergétique de nos bâtiments. Inversement il y a de nombreux sujets sur lesquels nous sommes précurseurs. Nous avons notamment un temps d’avance avec le puit de géothermie qui, depuis 2010, apporte une grosse partie de la chaleur de la plateforme. Nous allons construire deux pompes à chaleur pour améliorer encore la performance de la géothermie. Nous utilisons également la chaleur "fatale" dégagée par l’incinérateur d'ordures de Rungis pour chauffer nos bâtiments et en 2024, 80 % de notre production d’énergie sera renouvelable.
Le système de traitement des eaux pluviales que nous avons amélioré en 2014 avec un système de marais filtrant nous permet d’avoir une excellente qualité de l’eau.
Il y a également une grande biodiversité sur l’emprise aéroportuaire côté piste et nous sommes très fiers d’avoir une politique zéro phyto (sans utilisation de produits chimiques) depuis 2015 ce qui fait de Paris-Orly un aéroport modèle. Nous avons obtenu à ce titre deux labels, le label "aérobio" de l'association Aéro biodiversité où nous avons atteint d'emblée le niveau le plus élevé, et aussi le label Eco jardin (1ère fois pour un aéroport). Nos prairies aéronautiques ne sont pas seulement des refuges de biodiversité elles participent aussi à la captation de CO² ce qui nous invite d'autant plus à les protéger. Dès à présent nous nous engageons à sanctuariser plus de 500 ha de prairies soit 1/3 de Paris-Orly.
G7 : L’objectif 2030 passe forcément par un travail avec toutes les parties prenantes. Comment cette initiative est-elle reçue par les autres acteurs concernés ?
JC : Une dimension importante de notre projet est qu’il est évolutif en fonction des innovations à venir mais aussi en tenant compte de la façon dont la communauté s’en empare. Nous travaillons avec les compagnies aériennes, avec nos assistants en escale dont les licences ont été renouvelées l’année dernière en intégrant une forte exigence environnementale. Tous nos prestataires sont concernés et le renouvellement des marchés est l’occasion d’injecter cette ambition nouvelle. Nous travaillons avec les services de l’Etat qui font partie de nos partenaires de premier plan. Il s’agit bien sûr des services de la navigation aérienne, mais également de tous les services régaliens qui travaillent au sein de l'aéroport. Enfin nous avons également des projets avec les hôteliers présents sur la plateforme concernant le traitement des déchets, de l’eau. Nous adoptons une approche communautaire et territoriale.
Nous constatons que les enjeux sont bien compris par tous les acteurs. Après deux ans de crise sanitaire c’est un projet porteur d’avenir qui nous permet de reprendre notre destin en main et de créer la pérennité de notre modèle économique.
G7 : La pression des communes riveraines est-elle plus forte qu’avant ?
C’est un mouvement de fond qui touche l’opinion publique et qui nourrit les revendications traditionnelles des riverains. Ces revendications concernant le bruit, le cadre de vie sont tout à fait légitimes et il est naturel qu’une industrie comme la nôtre prenne la mesure de son impact sur l’écosystème territorial.
Nous devons donc travailler sur le bruit et sur la pollution de l’air et prouver que nous sommes capables de réduire nos émissions de CO2 et de particules fines.
G7 : L’arrivée de la ligne 14 du métro est un élément qui joue en votre faveur, y a-t-il d’autres projets en cours ?
L’arrivée de la ligne est évidemment une opportunité. Il y aura également l’arrivée de la ligne 18 prévue pour 2027. La gare de la Société du Grand Paris sera logée au cœur de la plateforme, en face d’Orly 3. Nous avons fait le choix d’implanter une gare routière directement au contact. Il y aura donc à Paris-Orly un véritable pôle multimodal qui réunit, le métro, le bus, l’avion et un parking. L’implantation de cette gare routière a été pensée dans une logique territoriale. Nous savons pertinemment qu’une partie des passagers du métro ne viendront pas prendre l’avion mais cela fait partie de notre mission, en tant qu’entreprise citoyenne de favoriser la mobilité au sein du territoire.
Cela va changer la donne pour nos passagers, nos salariés et les habitants du territoire. Pour aller au-delà, il faudra réfléchir à la place de la voiture thermique au sein de la plateforme et nous inspirer des réalisations de certains aéroports à l’international qui ont fait le choix de parkings déportés à la périphérie de la plateforme avec la mise en place de navettes autonomes.
Aujourd’hui l’accès à l’aéroport se fait encore majoritairement en voiture -à hauteur de 70 % - ce qui est beaucoup. C’est lié à l’histoire de Paris-Orly, le tram ou le RER plus l’Orlyval ne peuvent répondre à la majorité des besoins de mobilité. Nous espérons que grâce aux projets en cours, l’usage de la voiture se réduira fortement, que cela soit pour les passagers ou nos salariés.
G7 Quelle sont les autres étapes importantes visibles ou non pour les passagers ?
Au-delà de la géothermie déjà évoquée et sur lequel nous réalisons un important investissement, nous allons augmenter la capacité électrique de la plateforme en collaboration avec RTE. Le mouvement de décarbonation implique l’électrification de nos équipements et de nos flottes de véhicules. Il nécessite la mise en place de bornes de recharges, l’équipement de nos postes de parking en prises ACU (Air conditioning unit) pour se passer de l’APU (la turbine auxiliaire de l'avion) qui utilise du carburant. Tout cela va doubler notre besoin en capacité électrique pour supporter tous les nouveaux usages.
Nous travaillons également dès à présent à l’accompagnement de l’arrivée de l’avion à hydrogène. Il faut déterminer où sera située la station de liquéfaction de l’hydrogène et travailler sur le réseau hydrant qui sera complémentaire du réseau existant de kérosène, qui lui pourra être utilisé pour les SAF (Sustainable Aviation Fuel). Ce sujet est piloté avec la direction du développement durable en partenariat avec Air Liquide et Airbus qui négocient ce virage technologique.
La circulation au sol des appareils, qui représente environ 30 % de nos émissions de CO2, est un vrai défi. Les technologies actuelles ne sont pas encore matures c’est pourquoi nous avons décidé de faire feu de tout bois. Nous travaillons sur les process, sur l’optimisation des parcours au sol afin de réduire les temps de roulage avec la Navigation aérienne mais également sur toutes les nouvelles technologies, y compris avec les constructeurs, afin de tester les projets innovants et d’être en mesure d’adopter rapidement ce qui fonctionnera.
G7 Une des conditions de succès est l’implication de tous les collaborateurs. Comment cela se passe-t-il de ce point de vue ?
JC : Toutes les équipes perçoivent la nécessité d’agir sur ces enjeux environnementaux. Je suis allée à la rencontre de chaque équipe sur son lieu de travail depuis le début de l’année. Ça a été l’occasion d’expliquer la démarche mais surtout de recueillir leurs réactions et leurs nombreuses suggestions. Nous avons décidé de ne pas limiter notre action à des gros chantiers mais également de travailler sur des changements de process et des projets de toutes envergures. Ainsi nous avons mis en place des objectifs et un monitoring en temps réel qui inclut des objectifs environnementaux tel que le temps de roulage et la consommation énergétique de la plateforme. C’est un changement de paradigme qui fait que chacun contribue à l’ambition globale.
G7 : Parlons chiffres, cette ambition représente combien en matière d’investissements ?
JC : Nous n’avons pas identifié à ce stade le coût des projets qui touchent à la dimension environnementale car ils sont le plus souvent imbriqués dans ceux d’autres domaines comme la capacité, la vétusté ou la qualité de service. Nous sommes en train de bâtir le programme d’investissement qui doit encore être validé par le groupe mais clairement l’idée est de changer l’ordre de nos priorités et d'y placer la décarbonation tout en haut.
Beaucoup de projets sont éligibles à des financements complémentaires et nous sollicitons parfois des investissements dans les appels à projets européens ou nationaux dans le cadre du plan de relance et encore au niveau départemental.
Certains projets sont rentables pour tous comme le projet APU off qui bénéficie aux compagnies aériennes et cela nous oblige à trouver des modèles de financement innovants.
G7 : Cette démarche est-elle commune aux autres plateformes parisiennes du Groupe ADP ?
JC : Cette démarche est cohérente avec le plan stratégique du groupe "2025Pioneers" qui met notamment l’accent sur l’intermodalité et la décarbonation. Ce qui distingue Paris-Orly c’est le tempo choisi et la conscience qu’il faut accélérer afin d’apporter rapidement les preuves de notre capacité à décarboner. C’est une démarche qui concerne toutes les plateformes avec des rythmes différents en fonction des écosystèmes locaux.
G7 : Que répondez-vous à ceux qui accuse l’aérien de greenwashing ?
JC : Notre parti pris est d’avoir une ambition chiffrée, objectivée et qui peut être auditée. C’est un gage de transparence. Nous visons en 2025 d’avoir un résidu d'au plus 4 à 5 000 tonnes de CO2 sur nos émissions internes et de tendre à horizon 2030 vers zéro émission nette.
Christophe Chouleur pour Gate7
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