Paris le 18 juin 2021 - Avec une partie des déplacements professionnels définitivement remplacés par la visioconférence comment les compagnies aériennes peuvent-elles survivre ?
La pandémie a durablement modifié le comportement des voyageurs d’affaires et les compagnies aériennes vont devoir s’adapter à cette donne qui bouleverse leur modèle économique. En effet s’ils ne représentent qu’entre 20 et 25 % des passagers, les voyageurs d’affaires génèrent entre 55 % et 75% des revenus des compagnies.
Au-delà de l’aspect économique c’est également tout un modèle mental qui est en train d’évoluer.
Gate7 a rencontré Paul Chiambaretto, professeur à Montpellier Business School et directeur de la Chaire Pégase, la première chaire française dédiée à l’économie et au management du transport aérien et de l’aérospatial qui vient de publier une nouvelle étude intitulée « Voyages d’affaires et visioconférence quel impact sur le transport aérien ?
Gate7 : Le dernier carnet de la Chaire Pégase a dressé un portrait du voyageur d’affaires d'avant le COVID-19, à quoi ressemble t’il (elle) ?
Paul Chiambaretto : Notre étude montre qu’avant le COVID 55 % des voyageurs d’affaires aériens voyageaient entre 2 et 5 fois par an et 13% d’entre eux plus de 10 fois par an, soit beaucoup plus souvent que les voyageurs loisirs. La majorité de ces vols sont à destination de la France métropolitaine ou de l’Europe et seuls 30% des voyageurs d’affaires réalisent des vols long-courriers.
Ces déplacements professionnels en avion sont essentiellement réalisés pour des réunions internes (en particulier dans les grandes entreprises qui ont des filiales un peu partout dans le pays ou dans le monde), pour des formations, pour assister à des événements professionnels (comme les salons et les foires).
Plus étonnant, si certains voyageurs d’affaires avaient déjà recours à la visioconférence avant le COVID, 47 % des répondants n’avaient jamais utilisé ce moyen de communication pour des rendez-vous professionnels et seulement 16 % d’entre eux l’utilisaient régulièrement ou principalement.
Gate7 : Sans surprise le COVID-19 a vu l’essor de la visio-conférence mais il semble que certains déplacements ont été maintenus dans la mesure du possible pendant cette période. Pour quels motifs ?
Paul Chiambaretto : Les déplacements aériens qui ont été maintenus sont principalement ceux qui nécessitent une présence physique, comme la maintenance technique, ou ceux qui impliquent une forte implication personnelle pour générer de la confiance, comme la prospection commerciale.
Au final, en 2020, 72 % des voyageurs d’affaires aériens ont déclaré avoir pris l’avion moins souvent. L’impossibilité de se déplacer (interdiction des déplacements hors motifs impérieux) mais aussi la réticence, pour des raisons sanitaires, des entreprises à faire voyager leurs équipes même quand c’était possible en sont les raisons principales.
Au global, on a estimé que 53 % des déplacements ont été remplacés par des visioconférences en 2020, principalement les réunions internes mais ce taux moyen cache de grandes disparités selon les secteurs et selon la taille des entreprises.
Gate7 : Votre étude montre qu’un retour à la normale d’avant COVID en ce qui concerne les déplacements professionnels n’est pas d’actualité voir même illusoire tant de nouvelles pratiques se sont installées. A combien estimez-vous selon l'étude réalisée la proportion de voyages d’affaires qui seront définitivement remplacés par d’autres modes de réunion ?
Paul Chiambaretto : Il faut distinguer l’impact à court terme (avec certaines restrictions aux déplacements qui sont toujours présentes) et l’impact à plus long terme (sans aucune restriction). Les résultats de notre étude montrent qu’à court terme le taux de remplacement des déplacements professionnels en avion par des réunions virtuelles s’élève à 51%. A plus long terme il baisse à 38 % en moyenne.
Globalement, on peut estimer qu’entre 35 et 40 % des déplacements d’affaires d’avant COVID seront remplacés par de la visioconférence. Cela n’est pas sans poser de questions pour les compagnies aériennes qui vivent grâce à cette clientèle professionnelle et misent sur les voyageurs d’affaires, pour lesquels elles ont investi afin de les fidéliser en multipliant les attentions.
Bien entendu le marché global des voyages d’affaires peut encore croitre en fonction de la situation économique et de la dynamique des entreprises mais cette croissance sera plus lente parce qu’une partie de ces déplacements seront remplacés par des visioconférences.
Gate7 : Justement quel impact cette évolution a-t-elle pour les compagnies aériennes ? Certaines sont-elles plus impactées que d’autres ?
Paul Chiambaretto : On sait désormais que la reprise passera en priorité par les voyages de loisirs et plutôt sur des vols courts et moyen-courriers. Les compagnies dont c’est déjà leur cœur de métier partent donc avec une longueur avance. Les autres, et c’est ce qui se passe actuellement pour la saison d’été, vont devoir faire preuve de flexibilité et adapter leurs programmes de vol vers des destinations loisirs.
Cependant la rentabilité des deux types de voyage n’est pas la même et les compagnies devront certainement réfléchir sur leur modèle. Par ailleurs avec une diminution des voyages d’affaires, les programme de fidélité basés sur la fréquence des vols et le prix payé vont devenir moins attractifs pour certains voyageurs d’affaires qui risquent de perdre leur statut. Cette perte de statut ne les incitera plus à rester fidèle à une compagnie aérienne même si elle est plus chère. Cela pourra donc les conduire à choisir le tarif le moins cher voire un autre mode de transport quand il existe. Les compagnies vont devoir repenser leur modèle et s’adresser à leur clients en repensant leur modèle mental et réorienter leur offre.
Gate7 : Le Covid est-il le seul responsable de cette baisse ou pensez-vous qu’une prise de conscience écologique par les entreprises joue également un rôle ?
Paul Chiambaretto : Dans les réponses apportées nous ne constatons pas une motivation écologique forte pour la substitution des déplacements d’affaires vers la visioconférence. Seulement 22 % des participants à l’étude ont mis en avant les raisons environnementales pour expliquer la réduction des voyages d’affaires en avion pendant la crise.
interview réalisée par Christophe Chouleur pour Gate7
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