Paul Chiambaretto, directeur de la chaire Pégase de la Montpellier Business School, présente les enseignements principaux de l'étude réalisée sur la perception des Français de l'impact environnemental du transport aérien.
Alors que le confinement semble toucher à sa fin, l’incertitude demeure forte sur la reprise du trafic aérien. Au-delà de la question de la réouverture des frontières ou de la santé financière des compagnies aériennes, la problématique de l’impact environnemental du transport aérien a refait son apparition dans les débats. En effet, après les ONG, c’est au tour du gouvernement de vouloir conditionner son soutien aux transporteurs aériens à l’accélération de leur transition environnementale.
Or le retour de la question environnementale n’est pas sans lien avec le fort développement du « flygskam », la honte de prendre l’avion, qui avait marqué fortement le transport aérien en 2019.
Pourtant, selon les scientifiques, si l’on se concentre sur les émissions de CO2, le transport aérien représente entre 2 et 3% des émissions de CO2 mondiales et réalise un certain nombre de progrès pour réduire son empreinte environnementale. Alors comment expliquer l’émergence et le développement du flygskam en Europe ?
Dans le cadre de la Chaire Pégase (Montpellier Business School), spécialisée dans l’économie et le management du transport aérien, nous venons de publier un rapport intitulé « Les Français et l’impact environnemental du transport aérien : entre mythes et réalités » (lien). Ce rapport propose des éléments de réponse sur l’émergence du flygskam.
Un décalage entre les pratiques du secteur aérien et les perceptions des Français
Pour comprendre comme le flygskam a pu prendre tant d’ampleur, nous nous sommes appuyés sur une intuition selon laquelle les Français pourraient avoir une vision biaisée de l’impact environnemental du transport aérien et une connaissance partielle des efforts réalisés par le secteur pour réduire son empreinte environnementale. Pour tester cette intuition, nous avons réalisé un questionnaire diffusé auprès d’un échantillon de 1018 répondants représentatif de la population nationale.
Ainsi, alors que les scientifiques s’accordent à dire que le transport aérien émet entre 2 et 3% des émissions de CO2 et pollue moins que le secteur des activités liées à Internet (4% des émissions de CO2) et que le secteur de l’habillement (8 à 10% des émissions de CO2), plus de 80% des Français considèrent que le secteur aérien pollue autant ou plus que ces deux secteurs. La figure 1 ci-dessous permet d’illustrer ces résultats.
Figure 1 : Pensez-vous que le secteur aérien pollue moins/autant/plus que le secteur X ?
Ce résultat s’explique par le fait que plus de 90% des répondants surestiment la contribution du transport aérien aux émissions de CO2 mondiales. Alors que le transport aérien ne représente que 2 à 3% des émissions de CO2, plus de la moitié des répondants pensent même qu’il représente plus de 10% des émissions de CO2 comme nous pouvons le constater dans la Figure 2 ci-dessous. Encore une fois, les répondant surestiment les émissions mondiales de CO2 du secteur aérien.
Figure 2 - Estimation de la contribution du transport aérien aux émissions mondiales de CO2
Dans une perspective plus dynamique, la Direction Générale de l’Aviation Civile révèle que les émissions de CO2 par passager transporté ont baissé de 25% en France au cours des 15 dernières années. Cependant, 90% des répondants pensent qu’elles ont été stables ou qu’elles ont augmenté comme nous pouvons l’observer sur la Figure 3 ci-dessous.
Figure 3 – Estimation de l’évolution des émissions de CO2 par passager aérien transporté au cours des 15 dernières années
Ce résultat s’explique essentiellement par le manque de connaissance des Français concernant les mesures qui sont prises par les constructeurs, les compagnies aériennes et les aéroports pour réduire leur impact environnemental ces 15 dernières années.
A titre d’exemple, les nouvelles générations d’avions ont une consommation comprise entre 2 et 3 litres par passager pour 100 kilomètres parcourus. Cependant, plus de 70% des répondants la surestiment. Près du quart des répondants pensent même que les nouvelles générations d’avions consomment plus de 10 litres par passager pour 100 kilomètres parcourus. La Figure 4 permet d’illustrer cette affirmation.
Figure 4 - Estimation de la consommation des nouvelles générations d’avion
Plus globalement, les Français ont généralement une connaissance modérée des mesures mises en place pour réduire l’empreinte environnementale du transport aérien. Qu’il s’agisse de la part, ou de l’évolution des émissions de CO2 par passager transporté du secteur aérien, nous observons une très forte surestimation de la part des répondants.
Le flygskam, une fatalité pour le secteur aérien ?
Pour conclure, le fort développement du flygskam est le résultat d’un écart entre la réalité et la perception des Français concernant les pratiques environnementales du secteur aérien. Un enjeu majeur pour l’ensemble des acteurs de la filière aérienne est donc de faire preuve de pédagogie en communiquant largement sur les chiffres et les pratiques environnementales du secteur.
Néanmoins, pour faire face au développement du flygskam, le secteur aérien ne doit pas se contenter de communiquer sur ses efforts, il doit poursuivre sa transition environnementale pour devenir exemplaire en adoptant des objectifs encore plus ambitieux en matière de réduction absolue des émissions de CO2. L’atteinte de ces objectifs ambitieux suppose que les acteurs du transport aérien se coordonnent tout en bénéficiant d’un réel soutien de l’État. A plus long terme, l’objectif pourrait être de faire évoluer les business models des compagnies aériennes en leur permettant de devenir des acteurs de mobilité multimodale, avec une offre composée à la fois de routes aériennes et de routes ferroviaires.
Paul Chiambaretto (Montpellier Business School et directeur de la Chaire Pégase), Elodie Mayenc (Université de Montpellier), Hervé Chappert (Université de Montpellier), Juliane Engsig (Université de Montpellier), Anne-Sophie Fernandez (Université de Montpellier), Frédéric Le Roy (Université de Montpellier / Montpellier Business School), Cédrine Joly (Montpellier Business School)
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