Les compagnies sortiront amoindries de la crise et vont se séparer d’une partie de leur flotte.
L’attrition des flottes et les faillites de compagnies mettront des volumes significatifs d’avions sur le marché de l’occasion.
Olivier Joffet, consultant en stratégie spécialiste du secteur aérien et expert de la team Gate7 analyse dans le numéro du Finance News Hebdo les bouleversements auxquels fait face le transport aérien commercial suite à l’apparition de la Covid-19.
Retrouvez l'interview complète parue dans Finance News Hebdo, le premier site marocain dédié à la finance.
Finances News Hebdo : Que représentent les coûts de maintenance d'un avion dans les charges des compagnies aériennes ?
Olivier Joffet : La maintenance aéronautique représente environ 12-15% des charges des compagnies. Il s’agit du troisième poste de coûts après la masse salariale et la facture carburant (30 et 20% respectivement). Cette charge varie en fonction des types d’avions exploités, de leur ancienneté, des effets de famille existant ou non, comprendre toutes les déclinaisons d’un même type d’appareil, la famille Airbus A320 comprend les A318, 319, 320 et 321. La maintenance d’un avion ne se réalise pas comme celle d’un train ou d’un véhicule. Elle dépend du nombre de cycles effectués par l’avion, correspondant à un décollage et un atterrissage. Il existe toute une déclinaison d’opérations de maintenance dans la vie d’un avion : Checks A : toutes les 500 heures de vol, pour vérification de routine de la cabine et des moteurs.Checks B : tous les trois mois, inspection des systèmes de vol et de sécurité. Checks C : tous les douze à dix-huit mois, pendant une semaine environ, inspection des éléments de structure de l’avion.
Checks D : tous les 4-5 ans, l’avion est intégralement mis à nu et rénové. L’opération peut durer jusqu’à trois mois.
F.N.H. : Au regard de la baisse du trafic aérien, pourrait-on nous attendre à ce que les compagnies revendent leurs avions ?
O. J. : Les compagnies se posent toutes la même question fondamentale : quelle est la taille critique à avoir pour rebondir du mieux possible ? Les compagnies sortiront amoindries de la crise et vont se séparer d’une partie de leurs flottes; soit via une retraite anticipée de leurs sous-flottes jugées inopportunes par les temps actuels, ou via des retours de prêts chez les loueurs, de ventes sèches d’appareils voire d’opérations de «sale & lease-back». Leur préoccupation principale est pour l’heure de constituer les flottes les plus adaptées aux besoins à venir de la compagnie et aux exigences de leur clientèle en termes de produits, tout en sécurisant l’horizon financier.
F.N.H. : Comment cela se passe et qui sont les preneurs ?
O. J. : La vente d’une partie de la flotte est une option pour se donner un peu d’air en termes de cash. Le prix de cession reste fonction du type et de l’âge de l’avion.
Le plus aisé dans le contexte est de procéder à des opérations avec les loueurs, soit via une rupture de contrat et retour de l’appareil chez son propriétaire, soit une opération de «sale & lease- back» consistant à vendre à un loueur un avion, et se faire louer ce même avion dans la foulée.
F.N.H. : Ce marché d'occasion ne risque-t-il pas d’entrer en concurrence avec le marché du neuf ?
O. J. : L’attrition des flottes et les faillites de com- pagnies introduiront des volumes significatifs d’avions sur le marché de l’occasion. A première vue, on serait tenté de penser qu’une cannibalisation des offres aura lieu, mais les marchés du neuf et d’occasion n’ont pas la même vocation ni les mêmes publics. Le neuf satisfait les besoins de renouvellement des appareils les plus anciens et/ou accompagne la dynamique de croissance organique d’une compagnie.
L’occasion répond surtout à cette seconde voie et offre une flexibilité d’acquisition séparation que ne permet pas la pleine possession d’un avion. Neufs et occasions répondent donc de manière complémentaire aux impératifs des businessmodels des compagnies; les «Legacies» (compagnies aériennes classiques, ndlr) possèdent généralement leurs appareils, les low- cost au contraire ont massivement recours au leasing. De plus, un avion neuf impactera la trésorerie via le remboursement du crédit et
gonflera le bilan par un amortissement faible. Un avion de seconde main aura une valeur résiduelle faible, car amorti, contribuant à dévaluer les actifs de la compagnie.
F.N.H. : Quel impact cela aurait-il sur l'industrie aéronautique ?
O. J. : A date, recevoir un avion neuf pour une compagnie est davantage une source de problème que de salut. Tant que la demande ne permettra pas de remplir les avions, les compagnies préfèreront conserver leurs flottes ou procéder à des renouvellements ciblés.
Des reports de commande voire d’annulations vont avoir lieu si la crise perdure. Air Asia n’a pas souhaité prendre possession de 6 A320 récemment, Qatar Airways souhaite, quant à elle, l’étalement de ses livraisons.
Un phénomène de conversion de commandes vers des appareils de taille plus adaptée à l’après-crise pourrait se matérialiser, avec des shifts de 320 vers la gamme 220 d’Airbus, ou de 330/350 vers les 321XLR/ULR, mieux adaptés aux nouvelles conditions de marché.
L’impact pour les constructeurs sera direct et conduira à une réduction des cadences de production sur les longs courriers trop capacitaires ou les modules facilement disponibles d’occasion. En cascade, les sous-traitants verront leurs flux de commande se réduire; toute la chaîne de valeur sera impactée.
Il peut aussi être temps pour les avionneurs de repenser leurs gammes et combler certains «vides». C’est le cas de Boeing et son NMA, ou l’arrêt de production du 380 d’Airbus par exemple.
F.N.H. : Y a-t-il aujourd'hui des annulations de commande d'avions neufs ? A combien sont estimées les pertes des constructeurs ?
O. J. : Rassurons les lecteurs, les carnets de commande des avionneurs sont bien garnis, malgré la crise du 737 MAX chez Boeing et les annulations et/ou reports de commandes que la crise engendre. Il reste encore aux deux avionneurs plusieurs années de productions devant eux, et des débouchés dans la Défense.
La crise actuelle entraînera un ralentissement et un décalage temporel de la croissance du trafic aérien mondial. Toutefois, une reprise équivalente aux volumes observés en 2019 est attendue par nombre d’observateurs courant 2023.
F.N.H. : Qu'adviendra-t-il de ces appareils s'ils ne trouvent pas preneurs ?
O. J. : Deux issues : soit le stockage dans l’attente d’un repreneur, soit le scrapping. Cette seconde voie permet d’alimenter le marché de pièces détachées.
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